OBS-163
Mitoyennes, l’une sombre l’autre lumineuse, ces deux opérations surprenantes sont situées en plein centre ville de Montreuil-sous-Bois, dans une rue étroite du bourg ancien, menant à la mairie et la vaste place qui la précède. Le secteur est en pleines transformations. Sous la direction de l’architecte portugais Alvaro Siza, l’opération « coeur de ville » lancée en 1991, tente de renouer les multiples strates de l’histoire de la ville, formées de logiques urbaines et de programmes architecturaux différents. Ce paysage tourmenté est l’héritage d’un passé agricole, basé sur la culture des pêches en espalier qui a laissé un parcellaire très fragmenté en lanières étroites, avec lequel l’industrialisation et l’urbanisation rapides à partir du milieu du XIXe siècle ont du composer. Une première opération de rénovation urbaine menée dans les années 1960-70, a tenté de faire table rase de cet héritage en implantant un urbanisme de dalle. Les travaux en cours sont au contraire guidés par l’idée de recréer un tissu urbain en osmose avec le parcellaire et le viaire ancien, dans lequel patrimoine bâti et architecture contemporaine se juxtaposent. De fait, le centre ville de Montreuil est d’ores et déjà un terrain fertile pour la création architecturale. La qualité des opérations est soutenue par un travail très fin à la fois sur l’îlot et le paysage urbain avec une attention particulière à la couleur et à l’éclairage nocturne. C’est donc dans un paysage contrasté mais déjà très marqué par les interventions contemporaines que s’inscrivent les deux constructions de l’architecte Louis Paillard. Ce dernier était déjà intervenu à Montreuil en 2002 avec la maison Icône (en collaboration avec AF Jumeau). Bien nommée, elle est une référence pour la maison contemporaine à coût maîtrisé. Les deux opérations de la rue du 18 août, distinctes dans leurs formes et dans leurs matériaux s’inscrivent dans un terrain de forme irrégulière, bordé de constructions hétérogènes : petits immeubles et pavillons à R+1. L’immeuble, appelé Les Pastels, abrite 11 grands logements. Il s’élève à R+4 coté rue et R+3 coté jardin. Il s’articule en 3 parties pour occuper les recoins de l’îlot, réserver un terrain pour la maison Trapèze, et dégager une cour jardin, espace de transition entre les différentes constructions. Une grande partie de l’opération reste invisible de la rue, où n’apparaît qu’un grand bloc lisse revêtu de briques sombres et percé de baies rectangulaires aux encadrements métalliques laqués en orange vif. Coté jardin, en revanche, les façades ondulent. Orientées sud et est, peintes en vert pastel, elles sont très ouvertes, presque entièrement vitrées. Elles sont longées par des coursives aux garde-corps à baraudage vertical. Le contraste est absolu entre les parties privées, assez classiques, ouvertes et aux teintes douces et la partie publique sur rue, austère et un peu étrange. Ce goût du contraste et de l’inédit se retrouve dans la maison Trapèze. Le programme en soit est particulier, abriter dans un même volume une maison d’habitation (pour la famille de l’architecte) et un gymnase dédié au trapèze ballant que pratique son épouse. La construction est implantée sur un petit terrain trapézoïdal de 112 m_ et elle s’élève à 15 m, hauteur maximum autorisée par le règlement de la ville. Les espaces d’habitation occupent les deux niveaux inférieurs, plus un en sous-sol, tandis que le gymnase occupe la partie supérieure. Les deux fonctions du bâtiment sont marquées par deux systèmes constructifs différents mais économiques : la partie habitation est constituée d’un socle en béton bardé de lames verticales de pin Douglas ; l’espace dédié au trapèze, 9 m de haut, est réalisé en ossature métallique revêtue de panneaux sandwich en polycarbonate alvéolaire en nid d’abeille. De teinte dorée, il s’harmonise avec le bois traité dans un ton cuivre. La partie habitation, se superpose sur trois niveaux, aux plafonds filants, laissés brut de décoffrage et découpés opportunément de vides qui se répondent les uns aux autres spatialement, et dispensent la lumière au sous-sol. Ces trémies augmentent l’espace, qu’aucune porte ne vient fermer, seules des cloisons coulissantes posées sur des rails assurent l’intimité. Pour Louis paillard, le luxe d’une maison, c’est l’espace. De fait, les pièces ne sont pas dévolues à un usage unique, mais peuvent accueillir diverses fonctions au grès des besoins. Les quatre niveaux sont desservis latéralement par deux escaliers droits en béton qui se superposent, dont un mène directement en deux volées au gymnase depuis la rue afin de ménager l’intimité de la famille lorsque des cours de trapèze y sont donnés. La pratique du trapèze ballant demande de l’espace et une hauteur de 9 à 10 mètres. C’est aussi une discipline d’une grande précision qui a induit la forme de ce petit chapiteau privé. Avant d’étudier l’architecture, Louis Paillard a fréquenté l’école Boulle pendant 6 ans, où il a appris à travailler le mobilier « un domaine où le degré de précision est plus que millimétrique »*. Aujourd’hui, dans son métier d’architecte, il essaie « de réaliser des bâtiments qui ont à voir avec cette précision du mobilier » ; il dit aimer « le coté extrêmement net des choses, les bords à bords parfaits… »* C’est donc les impératifs de la pratique du trapèze et le goût de la précision qui ont dicté la volumétrie singulière du gymnase. Grâce à l’image de synthèse 3D, l’architecte a précisément proportionné et dessiné la structure en fonction de la course maximum en courbe du trapèze. D’où le positionnement de la poutre maîtresse dans la diagonale du plan et la série de plis que présente la couverture, conçus pour que la trapéziste en mouvement ne touche jamais la toiture. Ainsi, malgré son aspect ludique, le bâtiment n’a rien de formel. Cet espace superbe est magnifié par la lumière présente en abondance grâce au polycarbonate translucide, et aux baies généreuses ouvertes sur rue comme sur cour. Les fenêtres des deux parties du bâtiment sont les mêmes, en aluminium doré, de formes rectangulaires, disposées verticalement ou horizontalement, sur un mode irrégulier. Pour la partie gymnase, elles sont au nu du polycarbonate, tandis que pour la partie basse, elles sont en retrait. La couverture de la toiture est en panneaux sandwich industriel en acier laqué. Ces deux bâtiments, pour le moins atypiques, animent une rue déjà composite. Ils apportent une marque contemporaine forte et audacieuse. Ils prouvent qu’une architecture offrant des typologies nouvelles s’intègre parfaitement dans le paysage urbain, ici notamment par le choix des matériaux qui illustrent différents moments de l’histoire de la ville, le bois vernaculaire, la brique industrielle, et le « plastic » contemporain. Il faut aussi voir ces deux édifices la nuit, lorsque le chapiteau devient une sorte de volume luminescent, comme prêt à s’envoler, et quand les encadrements oranges des fenêtres forment des cadres lumineux qui se détachent d’une façade sombre comme disparue dans la nuit. Ils font écho à l’éclairage qui souligne les volumes obliques du théâtre (D. Coulon, arch.) implanté non loin, et reprennent le jeu multicolore et changeant des lumières de la tour Franklin (Hubert & Roy, arch. de la réhabilitation). La banlieue n’est pas toujours triste, Montreuil by night peut être féerique, surtout si l’on sait que des acrobates s’envolent sur les toits. * Entretien avec Louis Paillard. AMC/n°156/novembre 2005

Programme

Maison individuelle et atelier trapèze ballant et immeuble de 11 appartements et parking en accession

Année de réalisation
2009
Surface(s)
270 m² et 1100 m² (SHON)
Coûts
500 000 € HT et 1 800 000 € HT
Crédit photos
BOEGLY Luc
Réalisation mise à jour
janvier 2025
debug, no arrray