Architecture du XXe de la Côte d’Or

Les bombardements du 15 juin 1940 anéantirent presque entièrement le centre de cette petite ville de 4000 habitants. D’abord logés dans des baraquements provisoires, les habitants affrontèrent une crise du logement qui, malgré les avancées du chantier de reconstruction, dura une vingtaine d’années. Les conditions dans lesquelles se déroulèrent cette vaste opération entamée sous l’occupation sont révélatrices à bien des égards des problématiques posées dans les villes et villages détruits: comment reconstruire ? Entre un attachement à un passé révolu et une modernité technique exigée par le contexte et les contraintes budgétaires, la reconstruction de Châtillon-sur-Seine est riche d’enseignements sur une période qui marque un tournant dans l’histoire de l’architecture du XXe siècle.

Les deux bombardements aériens ont été accompagnés d’incendies qui durèrent plusieurs semaines. La ville à moitié détruite fit de plus l’objet de pillages systématiques. Un relevé topographique fut tout d’abord réalisé en 1941, partageant la ville sinistrée en 17 îlots regroupant 229 immeubles sinistrés ou attenant. Après l’établissement du plan d’urbanisme et d’aménagement, Henry Viollet fut nommé architecte en chef et architecte conseil du remembrement. L’opération de remembrement revêt dans ce contexte une importance décisive: dans une ville dotée de nombreuses habitations anciennes (XVIIe, XVIIe etc.), conserver les formes souvent exiguës et irrégulières des parcelles n’a pas de sens, compte-tenu de l’évolution des besoins, des modes de vie, et surtout de l’urgence à effectuer un partage foncier cohérent. Le remembrement général est donc parvenu à rendre à chaque sinistré les surfaces et les façades proportionnellement réduites, sur des emplacements proches de ceux occupés par les défuntes constructions. Un article de La Construction Moderne (janvier 1953) déplore qu’il n’ait pas été possible, compte-tenu de la taille des ilôts, de réaliser des rues intérieures afin de desservir les arrières-boutiques ; la présence de nombreux commerçants eut naturellement une incidence sur le nouveau visage de la ville.

Les choix architecturaux traduisent une orientation régionaliste défendue par l’architecte en chef : M. Viollet (..) laissa à chaque architecte une certaine latitude de conception, tout en la dirigeant en vue de maintenir une harmonie générale. Il imposa les toits à grande pente, (..) exigea une couverture en petites tuiles plates, (..) et préconisa l’emploi de la pierre. C’est ainsi que la devanture de la plupart des magasins a été exécutée en comblanchien, la belle pierre du pays (La Construction Moderne, opus cit.). On reconnaît par contre dans les façades l’emploi de procédés propres à l’industrialisation de la construction, comme la récurrence des cadres de fenêtres moulés en béton. L’idée consiste donc au départ à laisser à des architectes de sensibilités différentes la responsabilité d’édifier des constructions plutôt hétérogènes, afin de refléter une diversité pouvant suggérer une certaine sédimentation historique – ou tout au moins une individualité à chaque maison. Mais cette volonté se heurte à certaines préconisations du Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU), qui critiquent le respect des trames anciennes et plaident pour des compositions d’ensemble permettant des économies substantielles. L’unification des corps de bâtiments et la standardisation accrue des éléments constructifs sont ainsi plus perceptibles dans la zone sud (sous la Seine) que dans la zone nord. On touche ici à un débat essentiel, qui dépasse la simple opposition entre le «modernisme» parfois technocratique du MRU et l’attachement légitime des populations et de nombreux architectes aux formes héritées d’une riche histoire nationale. La prise en compte de l’ancien parcellaire, des matériaux ou du nombre d’étages (que le règlement d’urbanisme de Châtillon-sur-Seine prévoyait de limiter à deux) relève en définitive de questionnements identitaires liés aux intenses réflexions sur le fonctionnalisme et les valeurs (symboliques, culturelles) associées à cette «nouvelle» architecture. Parmi les nouveaux équipements publics, on remarquera l’ancienne salle des fêtes Gaston Bernard (1958, A. Houillier et C. Loret architectes), malheureusement défigurée lors d’une restructuration récente. Ce chantier fut également pour l’architecte Pierre Beck, le début d’une carrière prolifique et féconde, même si son degré d’implication reste à définir.

” Extrait du Guide d’architecture en Bourgogne 1893-2007 – Éditions Picard-2008 “